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La décision du Conseil d’État concernant l'ENA : semi-défaite, semi-victoire ?

Il est courant dans la vie politique de crier victoire quand on vient de subir une cuisante défaite. Nous ne suivrons pas ces mauvais exemples. Nous avons formé un recours avec onze associations partenaires contre un arrêté ministériel restreignant à une seule langue, l'anglais, les épreuves de langue pour l'admission au concours d'accès à l'Ecole nationale d'administration. Nous n'avons pas gagné ce recours, mais nous trouvons dans la décision du Conseil d’État plusieurs motifs de satisfaction qu'il convient d'expliquer.

Nous avions invoqué l'article L-121-3-I du code de l'éducation selon lequel « La maîtrise de la langue française et la connaissance de deux autres langues font partie des objectifs fondamentaux de l'enseignement » et nous avions considéré que la restriction de l'épreuve de langue au concours d'entrée à l'ENA au seul anglais était contradictoire avec le code de l'éducation. Nous estimions, apparemment à tort, que le choix du type d'épreuve de langue avait un lien direct avec les contenus des programmes d'enseignement. Or, le Conseil d’État nous répond qu'il n'en est rien et que l'article L-121-3-I du code de l'éducation, « relatif au contenu des programmes d'enseignement, n'est pas applicable en revanche au contenu du programme des épreuves du concours ».

Et le Conseil d’État ajoute que, s'agissant des épreuves du concours, « eu égard à la place de la langue anglaise dans la société actuelle, l'institution, par les dispositions attaquées, de l'anglais comme langue obligatoire pour l'épreuve orale de langue étrangère du concours d'entrée à l’École nationale d'administration n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation ». L'utilisation par le Conseil d’État de l'expression « erreur manifeste d'appréciation » est une formulation classique qui veut dire que sur certains sujets, comme celui présentement de la nature des épreuves d'un concours, il reconnaît à l'administration une certaine marge d'appréciation, et qu'en l'occurrence, l'administration a pu commettre une erreur, mais que cette erreur ne peut être qualifiée d'erreur manifeste.

En réalité, le Conseil d’État ne fait ici que reprendre sa jurisprudence dans un recours intenté par diverses organisations syndicales en 2009 au sujet du concours de l’École nationale de la magistrature. Ce faisant, et nous tenons à le souligner, le Conseil d’État ne répond absolument pas à la question soulevée par l'OEP et partenaires. En effet, ce que nous attaquions, ce n'était pas le caractère obligatoire de l'épreuve d'anglais, mais son caractère unique et l'exclusion d'autres langues. Ce n'était pas la reconnaissance de « la place de la langue anglaise dans la société actuelle », mais la méconnaissance de la place du plurilinguisme, pourtant reconnue par l'article L-121-3-I du code de l'éducation, qu enous mettions en cause. Ce dernier, intégré à la législation française en 2000, était une préfiguration des conclusions du Conseil européen de Barcelone de mars 2002, qui a postulé l'enseignement d'au moins deux langues étrangères dès le plus jeune âge.
Donc, le Conseil d’État ne répondant pas à notre objection, nous ne pouvons considérer être déjugés par le Conseil d’État sur ce point.

Mais il y a dans la décision du Conseil d’État des éléments non apparents qui sont pourtant très positifs à notre point de vue.
Tout d'abord, l'ENA est une école professionnelle relevant bien de l'enseignement supérieur.
En second lieu, l'article L-121-3-I du code de l'éducation s'applique aussi bien au premier degré qu'à l'enseignement supérieur, point non contesté par le ministère, raison pour laquelle ce dernier a défendu que l'ENA n'était pas un établissement d'enseignement supérieur.
En troisième lieu, il faut y revenir, l'article L-121-3-I du code de l'éducation s'applique au contenu des programmes d'enseignement, la question étant de savoir si devant une nouvelle contestation de notre part, non pas sur le contenu des programmes d'épreuves de concours, mais sur le contenu des programmes d'enseignement, le Conseil d’État pourrait à nouveau s'abstenir de juger en utilisant l'argument de « l'erreur manifeste d'appréciation ». La question reste évidemment ouverte. Cependant, il nous faut observer deux points :
- L'article L-121-3-I du code de l'éducation ne dit pas « objectifs de l'enseignement », mais « objectifs fondamentaux de l'enseignement ». Ce point devrait exclure à notre avis le recours à l'erreur manifeste.
- La compétence pour fixer le contenu des programmes d'enseignement ne revient pas au ministère, mais aux établissements eux-mêmes sous le contrôle du ministère chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche qui délivre les accréditations. Les décisions des établissements sont donc soumises non seulement à l'article L-121-3-I, mais à la totalité de l'article L-121-3, lequel encadre la possibilité de délivrer des enseignements en une autre langue que le français, limitant cette possibilité au sein d'une même formation à 50 %. Ce point n'est pas contestable, à la lumière du débat parlementaire qui a eu lieu en 2013 et dénué de toute ambigüité à ce sujet.
Donc, de la même manière qu'il est possible de déclarer illégale des formations exclusivement délivrées en une langue étrangère, il est tout-à-fait possible de contester un enseignement supérieur n'offrant que l'anglais comme enseignement de langue étrangère. A la limite, un enseignement pourrait ne comprendre aucune langue étrangère, mais s'il inclut un enseignement de langues, sauf motif spécifique, cet enseignement ne saurait être limité à une seule langue étrangère.

Enfin, il est important de savoir que, si l'on peut regretter cette réforme des épreuves d'admission, qui donne indiscutablement un mauvais signal, elle ne fait pas pour autant de l'ENA une école ayant opté pour le tout-anglais.

Donc, le combat législatif et juridique est loin d'être terminé.
Voilà donc ce qu'il est permis de conclure de la décision du Conseil d’État concernant l'ENA. Certes, nous aurions souhaité que l'arrêté litigieux soit annulé. Mais en même temps nous reconnaissons la rigueur du raisonnement du Conseil d’État qui, au final, nous permet de progresser dans notre combat pour une reconnaissance du plurilinguisme qui ne soit pas purement déclarative mais pratique.