La langue, un combat démocratique

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Le combat pour la langue est un combat démocratique par excellence.

La démocratie dans l'enseignement c'est d'abord donner à tous les enfants les mêmes chances de réussite dans leurs études. Ce n'est évidemment pas de permettre à chacun d'entrer à Polytechique ou à Normale Sup, mais de mettre en place les moyens pour les mettre en mesure d'y prétendre. Rien à voir non plus avec les statistiques de réussite universitaire ou professionnelle dont la valeur explicative et opératoire est généralement faible.

La réalité, quelle est-elle? Quand on dit que 15 % des enfants entrent au collège avec des déficiences importantes en lecture, il est évident qu'il s'agit d'une moyenne, d'un repère qui n'inclut pas nombre d'élèves ingénieurs qui font des fautes d'orthographe à toutes les lignes et dont le niveau de culture générale est souvent plus que médiocre.

Il est possible que quand on invoque ces 15 %, certains y voient un argument pour dénoncer les injustices sociales, d'autres pour dénoncer l'éducation nationale mais ne traitent pas le problème. Nous n'acceptons pas de classer ces 15 % dans les incurables.

Sur les 15 % en effet, une petite moitié ont en fait des altérations de l'aptitude au langage, sans lien obligatoire avec les capacités intellectuelles, et ces 7% relèvent d'un dépistage précoce et d'un traitement également précoce de nature médicale.

Dans l'autre moitié, une part des difficultés d'apprentissage de la langue s'explique par des facteurs environnementaux et nécessite également une détection et une intervention précoce, c'est-à-dire dès les premiers niveaux de l'école primaire. Ne pas traiter cette question, ou la renvoyer à plus tard (après l'entrée au collège par exemple), c'est évidemment envoyer les enfants dans le mur d'une manière presqu'irrémédiable, pour la bonne et simple raison que la langue est le premier de tous les apprentissages. Toutes les structures logiques et relationnelles sont dans la langue. Même les mathématiques ne peuvent être enseignées sans un niveau suffisant en langue. Pour traiter un problème, il faut commencer par en comprendre l'énoncé.

Un grand projet politique serait de traiter cette question des 15% au même titre que l'on se donne comme objectif de réduire le nombre des accidents de la route, sauf que là, la question est socialement et politiquement d'une portée infiniment plus grande. Curieusement personne n'en parle.

La question dépasse de loin celle des méthodes d'apprentissage de la lecture, même si celle-ci est importante.

La question est de remettre la langue au coeur des apprentissages, alors que la tendance depuis une trentaine d'années, et cela pas seulement en France bien évidemment, a été plutôt de la traiter comme un accessoire, une sorte de fioriture.

Disant cela, on ne dit pas non plus qu'il faut revenir aux méthodes d'enseignement de jadis et compter en nombre d'heures de lecture et de dictée à l'école, mais la question du nombre d'heures consacrées à la langue est évidemment essentielle. On peut avoir des activités d'éveil, mais celles-ci doivent elles aussi mettre la langue au coeur de leur objectif pédagogique, en supposant qu'elles en ont un.

Nous parlons de langue sans dire de quelle langue il s'agit.

Evidemment, nous parlons de langue nationale et maternelle, sachant que les deux peuvent ne pas coïncider.

S'agissant des autres langues vivantes, le premier point est qu'il est illusoire d'apprendre une langue étrangère sans posséder les bases de sa langue maternelle. Mais inversement, dès que ces bases sont acquises, l'apprentissage de cette langue étrangère est au contraire un puissant outil d'accélération de la maîtrise de la langue maternelle. C'est pour cela que l'Observatoire européen du plurilinguisme prône, si vous permettez ce raccourci, le "2 en 1 pour les langues".

Nous savons très bien que dans un avenir proche qui est déjà à l'oeuvre, la maîtrise d'au moins deux langues étrangères est déjà un facteur de sélection sociale et professionnelle. L'anglais, comme le baccalauréat, est certes un minimum. Mais la possesion d'une seconde voire d'une troisième langue devient un atout déterminant.

De même que l'on parle de fracture numérique, une nouvelle fracture est en train de se créer, de multiples façons, c'est la fracture linguistique.

Donc le combat pour la langue et pour les langues n'est pas un combat élitiste, c'est au contraire un combat éminemment démocratique. Ne pas le comprendre, c'est tenir des positions passéistes et jouer le jeu inconsciemment du tout-anglais, de la pensée unique et d'une domination qu'il est superflu d'expliciter ici. C'est penser et agir en parfait réactionnaire.

Christian Tremblay