Apprentissage précoce et stakanovisme pédagogique !

Voici un article de réflexion qui met en cause les hochets prêts-à-porter pédagogiques et politiques dont nos gouvernants sont si friands.

La Tribune 22 janvier 2008

LE POINT DE VUE DE... SUSANNE NIES, CHERCHEUR A L'IFRI, BUREAU DE BRUXELLES

Une nouvelle approche de l'apprentissage des langues à l'école

 Il y a des sujets récurrents parmi les pa­rents soucieux de la réussite de leur en­fant. Et la question de savoir s'il va maî­triser ou non une langue étrangère, voire plusieurs, en fait intrinsèquement partie. Car l'apprentissage d'une langue est considéré à juste titre comme une clef de réussite dans un monde de plus en plus mondialisé. Une préoccupation partagée par tous les parents en Europe. Les résultats, pourtant, ne sont nulle part au rendez-vous, en particulier si l'on op­pose l'investissement matériel et de temps aux résultats obtenus. Alors que ce serait si sim­ple ! Apprendre une langue est bien plus que la maîtrise d'un vocabulaire, d'une grammaire et d'avoir passé un certain nombre d'heures à avaler tout cela une fois pour toute. Apprendre une langue revient à apprendre la culture d'autrui, à se mettre à sa place, et à compren­dre ainsi et au premier chef... sa propre langue et sa culture.

Or les pays européens, bien qu'ils bénéfi­cient du grand avantage du marché commun, et ainsi de la libre circulation, privilégient pour le moment l'attitude technique et nationale.

Aujourd'hui, apprendre une langue consiste donc à maîtriser une technique pour réussir. Commencer le plus tôt possible et multiplier le nombre d'heures sont considérés comme les meilleurs facteurs de réussite. Cette approche est profondément erronée car elle chasse l'humain d'une des expressions les plus sublimes de l'humanité : son parler. L'appren­tissage d'une langue, c'est la création d'un lien entre l'apprenti et l'appris et qui permet de découvrir une culture. L'apprenti en l'occur­rence est le jeune enfant, d'une curiosité sans bornes, d'une capacité d'assimilation impres­sionnante. Pourquoi alors cela ne marche pas ? La réponse est simple : l'enfant se refuse au mensonge.

COMMENCER TRÈS TOT ET MULTIPLIER LE NOMBRE D'HEURES SONT CONSIDÉRÉS COMME DES FACTEURS DE RÉUSSITE. C'EST UNE ERREUR.

Besoin d'authenticité, de dépaysement. Se trouver en classe en face d'un Français déguisé en Anglais, à l'accent français pour la plupart des cas, voir d'un Allemand déguisé en Fran­çais, à l'accent effroyable, voilà l'erreur de méthode qui entraîne des problèmes et des échecs systématiques. L'enfant est sensible à la tromperie et il ne souhaite pas assister à un spectacle qui n'en est pas déclaré un. Il a besoin d'authenticité, du dépaysement, de vraie rencontre, de découverte en profondeur, et qui l'assurerait de la seule base garantissant son pas futur vers l'international.

Pourquoi ne pouvons-nous pas envoyer des professeurs d'anglais anglais en France, comme les professeurs d'allemands allemands et ainsi de suite ? La volonté, elle, de la part des professeurs n'est pas la cause. Les élèves en seront enchantés et l'échec scolaire en langue remplacé par le succès. Bien de voyages d'apprentissage à l'étranger, quant à eux, seront superflus dans un premier temps. Et nous assisterons à la création d'un professorat européen, à l'objectif commun de partager les cultures réciproques. Les élèves qui auraient eu droit à une telle école s'en souviendraient toute leur vie. Ils deviendraient eux-mêmes des ambassadeurs d'un monde aux parlers multiples, enracinés dans leur propre culture dont ils auraient saisi l'essence et la différence dès la première rencontre avec un « vrai » étranger. Pourquoi cette Europe, qui a réussi grâce à la méthode Monnet, à savoir les pas concrets de coopération et qui ont donné la philosophie et la volonté de vivre ensemble (Ernest Renan) par la suite, ne peut se prêter à une aventure aussi simple, évidente, et formidable ?

Laissons aux gouvernements le souci d'apporter cette solution si simple à une problématique récurrente et qui mérite une solution au plus vite. Pour nos enfants d'abord, pour leur connaissance de nos cultures respectives par la suite et, enfin, pour que l'on puisse toucher à cette Europe et à sa diversité.