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European and international institutions

Les 13 propositions de l’OEP pour la présidence française de l’UE 2022

A l’attention du groupe de travail

animé par

M. Christian Lequesne

L’Observatoire européen du plurilinguisme, né des premières Assises européennes du plurilinguisme en 2005, travaille sur les voies et moyens de faire respecter et de promouvoir en Europe et dans le monde le plurilinguisme et la diversité linguistique et culturelle.

Son action se matérialise par un site Internet richement documenté et actualisé quotidiennement, une Lettre d’information bimestrielle et les Assises européennes du plurilinguisme, manifestation triennale, rassemblant des chercheurs, des décideurs publics et privés et des représentants de la société civile pour nourrir le débat, approfondir les argumentations et proposer des actions.

L’OEP est soutenu et accompagné depuis l’origine par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, et il a été accrédité en 2018 par l’OIF en tant qu’organisation internationale non gouvernementale.

De ces dix-huit années de travail, nous souhaitons extraire quelques sujets qui peuvent alimenter la présidence française de l’Union européenne, qui est une occasion exceptionnelle de faire avancer le plurilinguisme d’une manière qu’il faut espérer durable.

Proposition 1 : libérer la langue de rédaction

L’anglais s’est imposé ou a été imposé comme langue de rédaction et comme langue de travail, à partir de la chute du mur de Berlin et de l’effondrement de l’Union soviétique. Ce n’est pas le lieu d’en analyser les causes, mais la réalité géostratégique et géolinguistique qui en découle donne un fondement apparemment rationnel à des pratiques qui n’ont rien à voir avec l’esprit des traités ni avec le règlement N° 1 de 1958. Rappelons que l’article 4 de ce dernier énonce que « les règlements et les autres textes de portée générale sont rédigés dans les langues officielles » et que s’il y a un doute sur l’interprétation qu’il convient de donner à cet article, l’article 5 précise que « le Journal officiel de l'Union européenne paraît dans les langues officielles. » On ne saurait donc confondre « rédiger » et « publier » et on peut en déduire que toutes les langues officielles, qui sont également langue de travail, ont donc vocation à être utilisées pour rédiger les documents de portée générale produits par les institutions européennes.

Nous proposons, non pas de revenir aux pratiques antérieures à la période que nous venons d’évoquer, mais de développer de nouvelles pratiques qui respectent pleinement l’esprit des traités et la lettre du règlement n° 1.

Les progrès spectaculaires obtenus par la traduction assistée par ordinateur permettent d’envisager que les rédacteurs rédigent leurs textes dans la langue de leur choix parmi les 28 langues officielles et les traduisent immédiatement (même simultanément) en au moins deux autres langues officielles.

Une telle pratique est d’ailleurs en train de se développer, des fonctionnaires européens produisant déjà leurs textes en anglais en utilisant la TAO. La différence par rapport à la situation actuelle serait d’abord de prendre en compte les textes dans leur langue source et de prendre le texte en anglais pour ce qu’il est et a toujours été, sauf de la part des Britanniques natifs, c’est-à-dire une traduction et de rajouter au moins une langue.

À ce sujet, on doit observer que lors de leur recrutement, il n’est exigé la connaissance que de deux langues, dont la langue officielle du pays dont le fonctionnaire est ressortissant, et que l’exigence d’une troisième n’intervient que pour obtenir une promotion. Donc la proposition n’implique aucun effort exceptionnel et que si tous les candidats aux concours européens répondaient à l’ambition affichée dans les conclusions du Conseil européen de Barcelone de 2002 de deux langues européennes en plus de la langue maternelle (officielle) et que la promotion soit subordonnée à l’acquisition d’une troisième étrangère, c’est en quatre langues que les textes pourraient être produits simultanément.

Attendu que les modalités linguistiques du travail interne des institutions européennes ne font l’objet d’aucune disposition en dehors de l’article N° 4 du règlement N° 1 de 1958, il convient seulement de donner une impulsion destinée à faire évoluer et à moderniser les pratiques en cours.

Proposition N° 2 : élever le niveau en langue des fonctionnaires européens.

On ne peut qu’être étonné du faible nombre de langues aux concours d’entrée dans la fonction publique des institutions européennes. La moindre des choses serait de se mettre en cohérence avec les conclusions en matière de langues du Conseil européen de Barcelone et donc que deux langues étrangères soit exigées au concours d’entrée, et trois langues étrangères pour obtenir une promotion.

Il n’est pas difficile de comprendre qu’une mesure de cette nature serait un puissant levier pour faire évoluer les pratiques et assurer un rééquilibrage entre langues officielles au sein des institutions.

Proposition N° 3 : Abolir le monopole de l’anglais dans les relations internationales

Quand un organe des institutions européennes, que ce soit de la Commission, du Conseil ou du Parlement entretien des relations avec un pays dont l’anglais n’est pas langue officielle, il convient de privilégier la langue officielle de ce pays quand celle-ci est une langue officielle de l’UE. Quand le pays ou groupe de pays a le français, l’espagnol ou le portugais pour langue officielle, ces relations doivent être établies en français, en espagnol ou en portugais.

 

Proposition N° 4 : Les informations diffusées par abonnement par le Conseil de l'UE, le Conseil européen et la Commission doivent l’être dans la langue souhaitée par le citoyen européen.

Le citoyen qui s’abonne sur le site europa.eu se voit indiquer que s’il n’a pas demandé de recevoir les textes en anglais, il se peut que certaines informations lui parviennent quand même en anglais. L’administration s’excuse par avance et annonce leur volonté de toujours mieux servir le citoyen.

En fait, c’est presque toujours en anglais que l’information est diffusée. Pour avoir demandé de recevoir les informations en français, nous avons calculé sur une période de deux mois que 80 % des courriels étaient en anglais. Ces courriels ne comprennent que les titres des communiqués ou des informations. Or, il n’est pas rare que sur le site europa.eu les communiqués ou informations qui sont abondantes soient en 24 langues, au moins au niveau de la première page. La seconde page, quand elle existe, donne des informations plus utiles et plus détaillées, qui sont dans 95 % des cas en anglais.

Techniquement il n’y a aucun obstacle à ce qu’il soit donné satisfaction aux citoyens de recevoir ces courriers électroniques dans leur langue. Il faut secouer les routines linguistiques dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres. La question des secondes pages en anglais sera traitée dans une autre proposition.

La question n’est pas futile, car elle met en cause le droit des citoyens d’être informés dans une langue qu’ils sont sûrs de comprendre. Elle met aussi en cause l’image du projet européen que projettent les institutions. L’abus de l’anglais donne une image très négative et nuit au projet européen lui-même.

Proposition N° 5 : démocratiser les consultations publiques organisées par la Commission européenne en vertu des articles 10 et 11 de l’Union européenne.

Ces consultations sont annoncées (sur abonnement) dans les 24 langues et les fiches de présentation sur le site europa.eu sont elles-mêmes en 24 langues. Cependant, ces fiches ne sont qu’une présentation générale et renvoient pour le contenu à une « feuille de route » de 3 à 15 pages toujours en anglais.

Il s’agit d’une discrimination inacceptable dans la mesure où est opérée une inégalité entre le citoyen capable de lire un texte technique en anglais et celui qui peut le lire avec difficulté ou ne peut pas le lire du tout, et qui donc se trouve dans l’obligation de faire traduire le texte.

C’est aux institutions qu’il appartient d’assurer la traduction des textes importants qui sont soumis à l’appréciation des citoyens.

Il faut imposer l’idée essentielle que le plurilinguisme est une conséquence directe du principe de participation du citoyen et du principe de transparence qui résultent des articles 10 et 11 du traité UE. C’est un droit fondamental qui doit être respecté.

Proposition N° 6 : inscrire dans le règlement N° 1 de 1958 le principe de plurilinguisme (ou multilinguisme), comme corollaire aux principes de transparence et de participation.

Toute modification du règlement N° 1 de 1958 est une opération délicate. Toutefois, ce règlement a vieilli sur plusieurs points et devrait être renforcé en raison du présent contexte.

Un article supplémentaire pourrait être ainsi rédigé :

« En vertu du droit reconnu par l’article 10 du TUE à tout citoyen de participer à la vie démocratique de l’Union, en vertu du principe de transparence qui résulte de l’article 11 du même traité, dans les consultations auxquels doivent procéder les institutions dans l’exercice de leurs missions en vertu des articles 10 et 11 du TUE, et en toutes circonstances mettant en cause le droit des citoyens à l’information et à la participation, les institutions sont tenues de respecter l’égalité des langues, le plurilinguisme étant un corollaire des principes de transparence et de participation. »

Proposition N° 7 : améliorer la plateforme europa.eu en la rendant plus plurilingue

Au cours des dernières années des efforts ont été faits pour rendre la plateforme europa.eu plus lisible par les citoyens et par toutes les personnes et organisations qui suivent les questions européennes.

Néanmoins au plan linguistique, on peut faire le même constat que pour les propositions 4 et 5 : dès que l’on dépasse les premières pages qui sont majoritairement dans toutes les langues officielles, la proportion de textes en anglais seulement augmente, et les textes en trois langues (de, en et fr) sont très peu nombreux.

La Commission devrait avoir pour objectif que tous les textes soient en au moins trois langues et que le nombre de langues soit rapidement augmenté à la faveur du développement de la traduction automatique.

Proposition N° 8 : rendre plurilingue les affiches sur les bâtiments publics des institutions européennes.

Au cours des dernières l’anglais a été imposé comme la langue unique d’affichage sur les bâtiments des institutions.

Il convient d’en revenir à l’esprit des institutions et inscrire le plurilinguisme comme une marque d’identité de l’Union européenne. Il s’agit d’un renversement symbolique qui s’impose particulièrement dans la période actuelle.

 

Proposition N° 9 : Revenir à un usage plurilingue de la présentation visuelle de la Commission européenne (salle de presse)

OettingerPendant de nombreuses années, la présentation visuelle de la Commission européenne reflétait fidèlement la pluralité des langues de l'Union européenne. Cela se manifestait, par exemple, par les inscriptions dans la salle de presse : Au panneau derrière les pupitres des orateurs, le nom de la Commission européenne était écrit dans l’ensemble des langues officielles de l’Union. Les pupitres eux-mêmes étaient étiquetés avec l'adresse Internet de la Commission et étaient donc également présentés de façon linguistiquement neutre. La photo ci-jointe avec l’ancien commissaire Günter Oettinger illustre la neutralité linguistique de l'ancienne apparence extérieure de la Commission qui avait ainsi suivi l'exemple du Parlement européen, dont la salle de presse a toujours donné une visibilité égale à toutes les langues officielles de l'UE.

Toutefois, depuis quelques années, la Commission n'utilise plus que l’anglais et le français pour étiqueter sa salle de presse. Une telle discrimination à l'encontre de toutes les autres langues officielles de l'UE enfreint manifestement l'esprit et la lettre de l'article 3 du traité sur l'Union européenne et de l'article 22 de la Charte des droits fondamentaux. Les conséquences de cette infraction sont d'autant plus graves que les nombreuses émissions télévisées et vidéo diffusées depuis la salle de presse de la Commission sont perçues avec une attention croissante par le public européen. En outre, il paraît étrange que la langue anglaise, malgré sa faible proportion de locuteurs natifs suite au Brexit, continue d'être mise en avant comme une marque d’identité privilégiée de l'UE, alors que d'autres langues avec des nombres de locuteurs beaucoup plus importants restent invisibles. Or, l'UE n'a d'avenir en tant qu'union politique que si ses citoyens s'y reconnaissent également au niveau culturel et linguistique.

Proposition N° 10 : Développer des recherches pour fiabiliser l’usage de la traduction automatique ou la traduction assistée par ordinateur.

Dans les années récentes la traduction automatique, dans laquelle nous englobons la traduction assistée par ordinateur, a fait des progrès prodigieux au point que la présidence allemande a pu proposer aux visiteurs de son site sur la plateforme europa.eu au-delà des textes initiaux rédigés en allemand, anglais et français des traductions automatiques au moyen du système DeepL dans les 21 autres langues à partir des trois versions officielles. L’OEP et l’association bruxelloise GEM+ ont évalué sur la base d’un échantillon de quelques pages la qualité des traductions obtenues. Malgré un résultat globalement satisfaisant, quelques anomalies ont été constatées qui montrent que des erreurs d’interprétation sont toujours possibles et qu’un contrôle humain minimal demeure absolument indispensable.

Sans entrer ici dans les détails, il semble que les erreurs les plus graves, correspondant à des contresens, devraient pouvoir être détectées par les logiciels eux-mêmes et faciliter le travail de révision. Mais pour y parvenir des travaux de recherche-développement sont nécessaires, et compte tenu des enjeux de la traduction automatique pour l’Union européenne, il paraît normal de penser qu’il appartient à la Commission européenne de donner une impulsion.

Proposition N° 11 : Poursuivre et développer les projets d’universités européennes et veillant à inclure dans les procédures d’évaluation, l’évaluation des pratiques linguistiques.

L’innovation que représente le projet d’universités européennes comporte un volet linguistique auquel l’OEP attache une importance particulière : le fait que les étudiants qui partent à l’étranger suivent des cours en au moins deux langues. A priori cette clause écarte la reproduction d’enseignements tout en anglais. Comme de nombreuses universités, sans parler des écoles de management et des écoles d’ingénieurs ont développé dans la plus parfaite illégalité des formations complètes, notamment des masters, uniquement en anglais, il conviendrait que l’évaluation du projet comporte un volet linguistique. La CPU, dans le communiqué publié sur son site le 11 septembre 2020, souhaite une « évaluation rigoureuse de la phase pilote », permettant d’identifier les bonnes pratiques, mais aussi de tenir compte des expérimentations qui ont échoué (qualifiées de « fausses bonnes idées » par un établissement), ainsi que les actions complémentaires destinées à renforcer les alliances labellisées apparaît toutefois comme un préalable indispensable à la poursuite du processus. Il est inquiétant que ce communiqué passe soigneusement sous silence l’aspect linguistique.

Proposition N° 12 : mettre en place une veille linguistique sur l’élaboration des textes européens

Les textes européens, comme en France ou dans tous les pays européens en ce qui concerne les législations et réglementations nationales, sont issus d’une multiplicité de services dont la « fibre linguistique » par rapport au multilinguisme est pour le moins fluctuante.

Une veille devrait être organisée au niveau de chaque institution, mais il est clair que les représentations permanentes des différents Etats sont les mieux placées pour qu’en leur sein un fonctionnaire soit investi de cette mission et que son avis puisse éventuellement déclencher la saisine des services centraux compétents.

 

Proposition N° 13 : mettre en place un outil d’évaluation des pratiques linguistiques au sein des institutions

Afin de pouvoir apprécier la situation linguistique des institutions européennes et de l’effet des mesures préconisées dans ce document et d’autres mesures qui auraient pu être prises par ailleurs, il conviendrait de définir, en fonction de la grande diversité des contextes où se posent clairement des questions d’équité linguistique, de définir un certain nombre d’indicateurs pouvant constituer un authentique tableau de bord. Ce tableau de bord serait appelé à évoluer en fonction de l’expérience et des situations rencontrées. Ces indicateurs devraient être simples et toute idée d’usine à gaz devrait être écartée.