Emmanuel Macron - Propos sur la langue (Extraits du discours de Reims, 17 mars 2017)

Categoria: Les victoires du plurilinguisme

Propos d’Emmanuel Macron sur la langue française et le plurilinguisme

Extraits du discours de Reims, 17 mars 2017

Il est en France des lieux où la vague de l’Histoire imprime sa marque et Reims en est un. Un de ces lieux où les repères pour tous et où la mémoire de chacun sont profondément marqués par ce qui s’y est passé. Ici, les rois de France ont été sacrés, traçant la lignée millénaire qui éclaira l’Histoire de notre pays. Ici, la Grande Guerre a noirci les pierres, décimé les familles françaises, meurtri nos paysages. Ici, le 7 mai 1945, les généraux nazis signèrent la capitulation sans condition. Ici, surmontant l’épreuve de l’Histoire et du sang, surmontant même ce que sans doute leurs peuples avaient en tête, Charles DE GAULLE et Konrad ADENAUER se tinrent côte à côte, debout et fiers, pour sceller la réconciliation de leurs peuples et dessiner l’avenir du continent européen. Ici, dans la cathédrale qui se trouve à quelques pas, la culture française s’est nourrie des apports du monde entier - comment oublier Marc CHAGALL dans cette ville ? Ici, notre Histoire vibre. Toute notre Histoire. L’Histoire d’avant la Révolution et d’après la Révolution. Cette Histoire millénaire et cette Histoire de notre siècle.

Ce qui nous tient, ce sont trois piliers fondamentaux : notre langue, notre culture et son héritage, et notre volonté constante de nous affranchir de tout et de prétendre à l’universel.

Et donc notre projet, c’est le vrai projet patriote. Parce qu’être patriote, c’est aimer le peuple français, son Histoire, mais l’aimer de manière ouverte, généreuse, volontaire, en ayant confiance dans ce qu’il est. Alors oui, ce qui fait notre peuple, et ce premier pilier, c’est notre langue, la langue française. Nous sommes à quelques kilomètres de Villers Cotterêts, cher Jacques. Là où François Ier a décidé de commencer à bâtir la France. Il n’y avait pas nos frontières. Il n’y avait pas, d’ailleurs, vraiment, la totalité de ce qu’on mettrait en toute rigueur derrière un royaume. Il y avait tant de langues. Il a décidé, par ordonnance royale, en 1539 de faire une chose : c’est de donner une langue au Royaume de France. Cette langue, c’est celle de la République, c’est la nôtre, c’est notre socle, c’est ce qui nous tient. Et c’est ce qui fait qu’être français n’a jamais été avoir des papiers français, avoir un sang français, mais avoir ce que CIORAN lui-même appelait “la grammaire à la main”, avoir ce goût pour la langue, en parler les mots, avoir cette cause commune. “Ma patrie, disait CAMUS, c’est la langue française”. C’est cela qui nous tient avec tout ce que cela emporte.

La langue française, ce sont ces mots qui ont constamment marié la belle langue de l’Académie et les langues empruntées aux patois, à ces langues vernaculaires que la France, dans sa diversité, a toujours eu l’intelligence de reconnaître et de savoir tresser. C’est aussi ce français rabelaisien, c’est ce français qu’on retrouve chez GLISSANT et tant d’autres. C’est cette langue qui n’a jamais été une parce qu’elle n’a jamais été figée, mais qui a toujours été en même temps une, comme un fleuve nourri de tant d’affluents. Et c’est dans ce mouvement constant, généreux et fort, qu’elle a réconcilié tant d’identités, tant d’imaginaires. Imaginez un instant, mes amis : nous sommes sans doute la seule langue au monde à avoir su réconcilier tous les continents. Tant d’identités disparates, de l’Afrique noire au continent amérindien jusqu’aux confins de l’Asie et au Pacifique. A avoir respecté chaque imaginaire qui était porté. À y avoir volé des mots, qui sont devenus des mots de la langue française. Et à avoir tenu tout cela ensemble. Ce qui fait que la langue est ce pilier commun et notre socle, c’est que de Papeete jusqu’à Fort-de-France, en passant par Montpellier, il y a des individus qui rêvent dans la même langue, qui écrivent dans la même langue.Et c’est ce qui fait que la France a toujours été elle-même en débordant d’elle-même, à travers les territoires où elle a porté le français et à travers la francophonie qui est aussi le coeur de cette mission et la vocation française, la vocation de notre culture et de notre projet.

La francophonie, c’est la France portée au-delà de la France par des femmes et des hommes qui ont décidé d’en être. La semaine prochaine, nous célébrerons la francophonie. Et là aussi, ça n’était pas un hasard de passer par Villers-Cotterêts. Cette francophonie, elle réconcilie des continents. Et le beau château abandonné de François Ier aura une vocation dans la francophonie française. Je veux ici m’engager à ce que nous portions ce projet, cher Jean-Jacques, porté quand tu étais ministre de la Culture, commencé à ce moment, qui est de redonner à ce château ce que son histoire porte en elle. De le rouvrir, mais de le rouvrir en lui faisant aussi porter ce qui est sa vocation : la langue française dans tout ce qu’elle emporte. Et d’en faire l’un des piliers symboliques de notre francophonie.

Parce que la langue française, elle est toujours, en même temps qu’une patrie, une passerelle, une passerelle vers d’autres cultures, vers d’autres continents, mais une passerelle aussi au sein de notre société. Entre des femmes et des hommes qui n’avaient rien de commun mais qui se retrouvent dans et par la langue. Qu’y avait-il de commun entre le LA FONTAINE de Château-Thierry, le RACINE de La Ferté-Milon et le métèque comme diraient certains aujourd’hui de DUMAS, né à Villers-Cotterêts ? Rien. Rien. Ils avaient chacun des destinées différentes, des extractions profondément différentes. Qu’est-ce que ce fils d’esclaves émancipés avait à voir avec les deux autres ? La langue
française. C’est la langue, la littérature française qui leur a donné leur statut, qui leur a
donné leur pleine reconnaissance dans l’Histoire de notre patrie. C’est cela, ce qu’est la
langue française.

C’est pour ce faire aussi que nous voulons, dans notre projet, rouvrir les classes bilangues. C’est rouvrir les études et les Humanités dans notre enseignement scolaire. Parce que c’est par la langue, c’est par ces études et ces enseignements qu’en France aussi il peut y avoir des enfants nés dans des fermes du Béarn qui prétendent accéder à la présidence de la République. C’est aussi parce que je crois à la langue française, la culture, que nous porterons cette même vocation en Europe. Défendre le français, ça n’est pas ne pas reconnaître les autres langues. C’est d’ailleurs pour cela que je veux, dans tous les quartiers, dans tous les lieux de la République, restaurer ces classes bilangues. C’est reconnaître que l’Europe, c’est un espace de culture. N’oublions jamais le petit regret de MONNET: “si je devais recommencer, j’aurais recommencé par la culture”. Alors nous, nous rebâtirons par la culture le projet européen. Par la coopération culturelle, par l’enseignement des langues, par la reconnaissance des langues multiples. Parler l’anglais, l’allemand, l’espagnol ou le portugais, ça n’est pas ne pas aimer le français. C’est, au contraire, lui donner sa juste place. C’est se souvenir que l’Europe est cette concentration géographique unique au monde de langues et de cultures. C’est l’Europe des traducteurs et des cafés, comme l’écrivait STEINER.

J’ai eu une chance inouïe dans ma vie, parmi beaucoup d’autres qui sont au premier rang de cette salle. C’est d’avoir pu “frotter ma cervelle”, comme disait MONTAIGNE, à celle d’un grand esprit qui était Paul RICOEUR. RICOEUR a été prisonnier, durant la Seconde Guerre mondiale. Et il me racontait que quand il était au stalag, il avait décidé d’enseigner la philosophie. Et il s’est retrouvé avec quelques-uns, il donnait des cours, ce qu’il appelait lui-même le simulacre, enseignant la philosophie à ses coreligionnaires. Mais surtout, il a pendant quatre ans fait une chose inouïe. Il était emprisonné par les Allemands, il ne voyait plus sa famille et vivait dans la peur. Lui, dont le père avait été abattu pendant la Première Guerre mondiale par les mêmes Allemands. Il a passé toutes ses années de captivité à traduire dans la marge un philosophe allemand qu’était HUSSERL. Et au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, il a été, en 1947, le premier traducteur d’HUSSERL en français. Aimer l’Europe, c’est aimer traduire. Aimer les langues et la culture, c’est vouloir traduire. C’est accepter que nos langues se sont construites les unes par rapport aux autres dans un continent de guerre, de bouscule permanente. Mais c’est ne jamais construire sa langue dans la haine de celle de l’autre et prendre le temps de toujours traduire en marge pour réconcilier, là aussi, des histoires parfois blessées.

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