Publié dans le numéro 1640 du 13 décembre de "Le Peuple", journal de la CGT.
Une langue peut être utilisée par une direction d'entreprise pour dominer des cultures, opacifier des informations, discriminer des personnes. Des actions syndicales peuvent être menées, et gagner, pour au contraire épanouir les libertés et les cultures.
Sous l'effet de ce qu'il est convenu d'appeler mondialisation, la question des langues qui se parlent et s'écrivent à l'entreprise trouve une acuité nouvelle et constitue pour les salariés et leurs organisations un
enjeu d'ampleur. Sans doute, ces
questions ouvrent-elles sur beaucoup de
champs de
réflexion : français/langues étrangères
et politique d'accueil des travailleurs
migrants ; illettrisme, dont la dernière enquête de l'Agence nationale de lutte
contre l'illetrisme montre qu'il se creuse essentiellement durant la vie de
travail... Il nous faudrait évoquer aussi la question des langues régionales et des langues qui se parlent en France. Cela
devrait faire ultérieurement l'objet,
dans la presse de la Cgt, d'autres articles. Si toutes ces questions tissent entre elles des liens profonds, nous
ne pouvons les mêler sans risquer de les confondre. Elles ont leurs spécificités propres. Nous n'aborderons ici que la seule question de la
prédominance, voire de la domination,
tendant parfois au monopole, de l'usage
de la langue anglaise dans certains
groupes et entreprises. Certes, tout ne se joue pas à l'entreprise, mais elle est bel et bien le lieu où se construisent
de fortes emprises sur la langue commune des salariés jusqu'à vouloir purement et
simplement que se substitue à la leur, sous la contrainte, une autre langue.
Voir une seule tête, parler une seule langue... Tassement, écrasement d'autres langues, pas seulement d'ailleurs du seul français et pas uniquement dans notre seul pays. Cela renvoie aux nécessaires combats communs avec les organisations syndicales d'autres pays et aux solidarités avec les locuteurs d'autres langues également dominées et niées : les mêmes politiques de groupe s'exerçant, de façon assez similaire, dans la plupart des implantations. C'est bien toutes les langues qui doivent trouver leur essor et échanger pour s'enrichir mutuellement. Pas de vision frileuse donc. Les langues doivent être vivantes, c'est-à-dire s'ouvrir à la richesse des autres, mais dans la multiplicité des par-lers, dans la liberté, sans contrainte et domination aucunes, dans le respect de leurs développements propres. C'est le sens de notre combat. Cela renvoie aussi à la qualité d'interventions, délivrées de tout chauvinisme, dans les différentes instances européennes ou internationales où nous siégeons. Nous ne pouvons accepter aucune domination et celle de la langue, plus pernicieuse et peut-être plus grave parce que plus fondamentale qu'aucune autre, ne peut souffrir aucun accommodement. Nous ne pouvons nous résoudre à ce que la domination économique s'accompagne d'une emprise sur la langue de l'autre. Cela déstabilise trop les règles du commerce international au profit des plus forts et renforce encore la division internationale du travail. Cette discrimination par la langue a aussi ses conséquences sociales. Elle fragilise l'emploi et son statut, pèse sur les conditions de travail des salariés, sur leur sécurité et parfois sur celle des consommateurs et des usagers, Enfin, baisser les bras sur ces questions s'aggraverait encore d'effets proprement culturels. Concevoir les langues en les réduisant à n'être que de seuls instruments de communication, les menacer d'effacement par de graves altérations, c'est restreindre la palette des diversités culturelles. Les langues sont d'abord des formes de pensée toutes singulières, convoquant chaque fois un peuple différent. Chaque langue ayant son génie propre pour concevoir le monde et le transformer. Corollaire : l'intérêt du plurilinguisme qu'il nous faut promouvoir, ce qui n'a rien à voir avec le renoncement à faire vivre notre propre langue. Conséquences : quelles actions, notamment de formation, pour faire vivre une politique linguistique à l'entreprise respectant la diversité des pratiques de langues des différents pays où elle s'implante et où elle commerce. |
Développer les connaissances Nous ne pensons pas que tout le monde doive parler une langue étrangère pour travailler à l'entreprise. Le requérir est abusif, sélectionne et discrimine en privant de travail ceux qui, encore aujourd'hui, par exemple, maîtrisent très difficilement un niveau de langage soutenu (au passage, cela renvoie, pour partie, à la lutte contre l'illettrisme et pour les savoirs de base). Pourtant, une société où les échanges techniques et commerciaux se mondialisent et où les entreprises s'internationalisent, exige que les salariés soient toujours plus nombreux à maîtriser les langues parlées par leurs collègues d'autres lieux et pays. Cela amène aussi à poser des revendications lors des fusions d'entreprises, dans les regroupements commerciaux et industriels internationaux : respect des différences linguistiques, refus aussi que la pratique d'une langue étrangère revête une obligation discriminante lorsqu'elle n'est pas nécessaire au poste occupé ou prévu explicitement par le contrat de travail. Tout ceci a de multiples implications en matière de formation initiale et tout au long de la vie; en reconnaissance des qualifications, en terme d'emploi de traductions également. Cela doit trouver sa cohérence dans la sphère du service et de l'emploi publics. Comment se plaindre de l'envahissement de la langue anglaise sans, parallèlement, offrir aux publics vivant ou passant dans notre pays, une large palette de langues étrangères, avec des agents formés et payés pour les parler bien, permettant d'accueillir tous ? La langue commune dans une entreprise (le français chez nous) signifie que tout le monde comprenne le français, Cela renvoie aussi à la formation des personnes illettrées ou alphabétisées dans une langue étrangère, Les langues présentes à l'entreprise mais minoritaires doivent aussi être reconnues en matière de sécurité et de protocole professionnel (consignes de sécurité, protocoles..,). La vie démocratique des instances représentatives à l'entreprise et dans tes groupes oblige aussi à l'obtention de droits en formations linguistiques spécifiques, en traduction des textes et dans l'ensemble des langues des participants. L'action des Chsct, des comités d'entreprise, notamment en matière de culture et de formation continue, devrait être renforcée. On ne peut débattre et se prononcer valablement et validement dans une langue que l'on ne maîtrise pas. Les droits et la défense des consommateurs et usagers (Indecosa) entrent aussi dans le champ de l'action du syndicat.
Dans la dernière période, beaucoup de syndicats, d'instances
représentatives, d'associations culturelles de salariés ont mené des actions fortes sur ces
questions.
Non sans succès, comme en témoigne la victoire de la Cgt à Gems. Un groupe de travail,
encore trop restreint, portant ces problématiques, s'est constitué avec l'activité confédérale de politique culturelle.
Ouvert à des syndicalistes, à des partenaires du monde du travail, il se fixe l'objectif
d'un échange d'expériences et de réflexions. Il entend engager une journée
d'étude ou de colloque dont le contour n'est pas encore bien défini. Une telle
rencontre permettrait de construire mieux une pensée syndicale forte sur ces
questions, d'échanger
avec d'autres (syndicats, associations, pouvoirs publics) soucieux de
ces questions, et d'élargir les actions. Nous proposerons très bientôt une réunion élargie, sans
exclusive, seconde étape permettant de construire une telle manifestation !
Jean-Pierre Burdin
Conseiller confédéral à la Politique culturelle
LE PEUPLE N° 1640 - 13 DÉCEMBRE
ZOOS
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