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L'ignorance de la langue freine les échanges

L'ignorance de la langue freine les échanges économiques entre la France et l'Allemagne
LE MONDE | 21.01.05 | 14h09
Les entreprises s'alarment du retard pris.

"L'allemand, un atout pour des carrières en Europe." Le thème choisi cette année pour la journée franco-allemande du 22 janvier - instituée en janvier 2003 en France et en Allemagne - a été décliné toute la semaine dans de nombreuses écoles et institutions d'enseignement, et faisait l'objet vendredi 21 janvier d'un colloque à Paris sous l'égide des secrétaires généraux à la coopération franco-allemande, Claudie Haigneré et Hans Martin Bury. Il s'agit de convaincre de redonner sa chance à l'allemand et au français comme langue vivante dans les cursus scolaires des deux pays.

Il y a un paradoxe, alors que la France et l'Allemagne sont plus que jamais le premier partenaire commercial et économique l'un de l'autre, de les voir de moins en moins communiquer dans leurs langues respectives, mais par commodité en anglais. Cette commodité commence à donner lieu dans certaines entreprises à des interrogations.

Lors d'une discussion organisée jeudi à la chambre de commerce franco-allemande de Paris, des syndicalistes CFTC d'Axa assistance, filiale du groupe d'assurance, sont venus faire part de leur bataille depuis cinq ans pour refuser le tout-anglais dans les échanges internes du groupe. Initiée par des personnes parlant elles-mêmes plusieurs langues, cette bataille, qui s'appuie sur la loi Toubon, leur a valu en 2004 le prix de la francophonie du Québec. Elle les a amenées progressivement, selon le délégué Jean-Loup Cuisiniez, non seulement à obtenir de garder le français pour travailler sur leurs écrans, mais aussi à défendre l'allemand dans les échanges avec les germanisants du groupe.

Directeur des relations internationales d'Areva, le groupe nucléaire franco-allemand, François Scheer est venu lui aussi relater que si les discussions entre cadres internationaux se passaient généralement en anglais, on ne pouvait se passer des langues d'origine dans la communication interne et que la charte des valeurs du groupe avait été traduite en allemand pour éviter les malentendus.

Une étude coordonnée par l'institut de l'économie allemande de Cologne (DIW) sur l'état des lieux des besoins des entreprises française et allemande en matière de connaissance linguistique traduit un bilan plus que mitigé. L'institut rappelle pourtant qu'il y avait, en 2001, 2 807 entreprises allemandes en France - en augmentation de 11,8 % par rapport à 1995 - employant 336 000 personnes ; et 1 464 entreprises françaises en Allemagne (+ 35,7 %), avec 274 000 employés. "Le résultat montre que le contact entre interlocuteurs allemands et français se passe en général sans problème en anglais. Apparemment, l'utilisation de la langue de l'entreprise, qui est une langue étrangère pour les deux cotés, conduit à faire tomber des barrières des deux côtés. Pourtant, les entreprises françaises et allemandes sont conscientes de l'avantage que représente la possibilité de communiquer dans la langue de l'interlocuteur", résume le DIW.

Pascal Augé, responsable du Groupe Société Générale à Francfort, le confirme : "Même si, dans la branche Corporate & Investment Banking, la langue la plus couramment pratiquée est l'anglais, et si la plupart de nos clients allemands pratiquent cette langue sans difficulté, je considère la maîtrise de l'allemand comme un facteur clé de succès en Allemagne. Témoignant un souci d'intégration culturelle et de présence long terme, elle permet en effet d'instaurer un dialogue plus riche avec les clients et, partant, de développer plus facilement avec eux une approche partenariale indispensable", dit-il.

Un quart des entreprises allemandes interrogées par le DIW ont reconnu des difficultés en raison d'un manque de personnes parlant le français. S'appuyant sur une étude des CCI françaises, Heinrich Lieser, le président de la chambre de commerce franco-allemande à Paris, estime lui que 160 000 postes ne sont pas pourvus en France, à cause d'un manque de candidats connaissant suffisamment l'allemand et encore plus en Allemagne.

Il souligne que le problème touche encore plus les PME que les grandes entreprises. Il est aussi, souligne la ministre des affaires européennes Claudie Haigneré, "un obstacle à la mobilité". Malgré les efforts de l'Office franco-allemand pour la jeunesse pour ouvrir ses programmes de formation et d'échanges aux jeunes des branches professionnelles, il y a de nombreuses demandes dans l'artisanat et les métiers manuels qui pourraient ainsi être elles aussi mieux couvertes.

Henri de Bresson avec Adrien de Tricornot à Francfort
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 22.01.05