Le "Post", une pensée postiche ? (Clémentine Gallot, Libération)

Post-analyse
Le «post», une pensée postiche ?
Par Clémentine Gallot — 8 mai 2017 à 18:56
Image : Aperçu du projet «Camgirls» de l’artiste britannique Sessa Omoregie, qui questionne l’identité et l’image des femmes à partir de mix de tableaux classiques et d’images prises à la webcam, un travail qui s’inscrit dans le «post-féminisme». Sessa Omoregie, Camgirls Project (2013-2015)

Post-vérité, post-genre, post-pop, post-Internet... A trop être utilisé à toutes les sauces et en particulier par le marketing, le préfixe «post» ne veut plus dire grand-chose. Simple effet de mode ou symptôme d’un appauvrissement de la réflexion ?
«Post-vérité» a été élu mot de l’année 2016 par le dictionnaire Oxford. L’expression est entrée dans les mœurs comme un automatisme. Plus largement, les mots en «post» se sont multipliés, saturant l’espace médiatique, omniprésents dans la bouche des «experts». Dans la culture, on communie désormais autour de l’avènement du «post-punk» voire de la «post-pop». Pour preuve, le programme de la défricheuse conférence Internet Media Age, qui s’est tenue à Barcelone fin avril autour du thème «La renaissance des utopies» : des conférences intitulées «post-réalité», «post-labels», «post-pub» et «post-travail». Même la presse féminines’interroge sur le phénomène, tel Grazia : «C’est drôle comme tout le monde reparle de "post" en ce moment. Post-Internet. Post-genre, post-colonialisme...» Le présent est «post-statistique», «post-philanthropique» ou n’est pas.

«C’est comme si "post" était en train de prendre la place de "néo"», remarque Dany Amiot, linguiste à l’université de Lille-3, qui n’y voit pas, pour une fois, la traditionnelle influence anglo-saxonne. En 2004, le politologue britannique Colin Crouch publiait déjà un ouvrage baptisé Post-Démocratie. Mais le terme n’est plus réservé aux universitaires, qui ont pu à un moment détenir le monopole du concept de post-féminisme ou des études post-coloniales. La prolifération de ces exemples récents en atteste : l’usage de ce préfixe, décliné à toutes les sauces, s’est intensifié en France. Logique, explique Edwige Dugas, linguiste elle aussi à Lille-3 : «Je n’ai pas les données pour le confirmer mais il me semble qu’il est de plus en plus utilisé, notamment dans des constructions avec un nom propre d’événement ou de lieu renvoyant à un événement - le monde post-11 Septembre, la sûreté nucléaire post-Fukushima - ou de personne - la gauche post-Hollande. Et plus une construction est employée, plus elle a de chances de voir sa fréquence d’emploi augmenter, comme un effet d’entraînement.»

Lire l'article