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Le plurilinguisme au sein de l'Union Européenne

(Entretien avec Monsieur Sean O’Riain, diplomate à la Délégation Permanente de l’Irlande à l’Union Européenne)
Q : Monsieur O Riain, vous avez derrière vous une carrière de 26 ans d’expérience diplomatique, dont 15 ans dans les Ambassades d’Irlande de plusieurs pays, où vous avez occupé plusieurs fonctions : porte-parole de l’ambassade, officier de presse, information et culture, conseiller politique et économique (chargé surtout des investissements des compagnies irlandaises en Europe) .Vous avez fait partie de la Délégation Permanente de l’Irlande aux Nations Unies (1985 – 1988) et depuis août 2005 de la Délégation Permanente à l’Union Européenne.

R : C’est juste. Jusqu’à maintenant j’ai travaillé dans six pays : en commençant par mon pays natal, l’Irlande, j’ai eu des postes diplomatiques en Autriche, en Australie, en Pologne, en Allemagne et à Bruxelles.

Q : Quel est votre lien avec l’Europe Centrale et l’Europe de l’Est ?

R : J’ai passé trois années à Vienne et cinq ans et demi en Pologne. Actuellement, je représente le Gouvernement de l’Irlande à toutes les réunions des Groupes de Travail du Conseil des Ministres de l’UE qui s’occupent des Balkans Occidentaux et de l’Amérique Latine – COWEB, AMLAT et COLAT. Nous prenons tous les mois des décisions qui concernent ces deux régions.

 

Q. : Comment caractériseriez-vous la situation économique et sociale des pays de cette zone de l’Europe et surtout des deux pays qui joindront l’EU en janvier 2007 ?

R . Il me semble que ces pays sont en train de se développer très vite : ils ont une taux de croissance bien supérieure à celui des 15 pays de la « vieille Europe ».

Q. : Une Europe unie suppose aussi une unité de plans et de projets de développement et l’harmonisation des lois nationales entre elles. D’autre part, la libre circulation des personnes et de la main d’oeuvre consentie par les traités européens exige des efforts de reconnaissance des diplômes et qualifications, exigence qui est à l’origine de la Convention de Lisbonne et qui a été une fois de plus exprimée cette année par le commissaire européen en charge de l’Education, de la Formation, de la Culture et du Multilinguisme, M. Jan Figel. Comment commentez-vous le fait que la Roumanie – futur pays membre – reconnaît tous les diplômes européens excepté le plus haut diplôme français : celui qui donne le droit à la direction des thèses de doctorat et des équipes de recherche ? Autrement dit, des citoyens roumains dirigent actuellement des thèses de doctorat et/ou des équipes de recherche en France mais en Roumanie ils n’ont pas ce droit. Alors que la Roumanie est confrontée à un manque de cadres qualifiés dans ce domaine et où les universités roumaines ont dû faire appel aux services des retraités des systèmes d’enseignement de l’UE. La Roumanie reconnaît les diplômes de doctorat délivrés par les pays européens, mais pas le diplôme et la qualification de directeur de recherche de celui qui a conduit les thèses si la personne en question a la citoyenneté roumaine ?!

R. : Cela me surprend, et j’espère que cela changera dès que la Roumanie sera devenue membre de l’UE.  

Q. : Votre activité a été liée durant des années aux problèmes du plurilinguisme et du multiculturalisme européen. Vous avez représenté l’Irlande à la commission intergouvernamentale du Conseil de l’Europe qui a promu la Charte Européenne des langues régionales et minoritaires (1988-1990). Vous avez participé aussi aux premières Assises Européennes du Plurilinguisme (2005) qui ont réunit des chercheurs, des universitaires, des représentants des ministères de plusieurs pays et des organismes européens – action qui peut être considérée comme l’acte de naissance de l’Observatoire Européen du Plurilinguisme et qui a démontré la nécessité d’une Charte Européenne du Plurilinguisme. Vous parlez 8 langues et vous comprenez également 4 autres. Soutiendrez-vous l’Observatoire Européen du Plurilinguisme dans ses démarches pour la promotion de cette Charte ?

R. :Oui. Il s’agit de quelque chose d’une importance cruciale pour l’avenir de l’Europe, à mon avis.

Q. : Croyez-vous dans la nécessité de cette Charte ?

R. : Oui, car le manque de plurilinguisme est en train d’éloigner la population européenne de l’idée de l’Europe. Nous en avons vu les preuves en 2005 quand la France et les Pays-Bas ont rejeté la Constitution européenne.

Q. : Comment interprétez-vous la candidature du représentant roumain à la fonction de commissaire du plurilinguisme ? La désignation du représentant de la Roumanie comme commissaire du plurilinguisme est-elle liée uniquement à son activité diplomatique et à ses compétences linguistiques ? Ne serait-elle pas liée aussi à la politique roumaine concernant les minorités linguistiques et à la promotion d’un enseignement national encourageant l’acquisition de deux langues en parallèle à la langue maternelle  (ce qui constitue d’ailleurs l’une des propositions de la Charte Européenne du plurilinguisme, qui trouve une application avant la lettre dans le système roumain) ?

R. : Je suis très content qu’enfin nous aurons un commissaire qui sera responsable uniquement du plurilinguisme. Il me semble que la désignation du représentant de la Roumanie, M. Orban, à la fonction de commissaire du plurilinguisme est bien liée à son activité diplomatique et à ses compétences linguistiques, mais il apportera certainement une compréhension accrue de l’importance des minorités et de leurs langues. Dans ce champ-là, l’Europe des 15 a bien des choses à apprendre des nouveaux pays de l’Europe Centrale et de l’Est.

Q. : Il y a eu des rumeurs dans le milieu politique roumain sur le « manque d’importance » du département réservé au commissaire roumain. Croyez-vous que le problème du plurilinguisme soit l’un des moins significatifs pour l’Europe ?

R. : Ces rumeurs, si elles existent, montrent un manque total de compréhension de l’importance de la diversité linguistique et culturelle pour créer une identité européenne en harmonie avec nos identités nationales et régionales. Le professeur Helmar Frank, professeur de cybernétique à l’Université de Paderborn en Allemagne a écrit que l’Europe officielle a consacré davantage de temps pour discuter les prix des bananes que l’avenir de sa diversité linguistique et culturelle. Il faut que cela change, et j’ai confiance qu’avec un membre de la Commission, jeune et capable comme M. Orban, le plurilinguisme va enfin prendre l’importance dans l’UE qu’il devrait avoir.

Q. : Vous savez que le roumain a été l’une des premières langues dans lesquelles la charte a été traduite et qu’il y a eu plusieurs actions en Roumanie pour sa promotion (à Timisoara, à Craiova, à Iassy). Pourtant, les media – quoique concernés par le texte de la Charte – n’y ont pas prêté trop attention. Croyez-vous que les choses vont changer maintenant ? Que les Roumains découvrent finalement l’importance de ce phénomène du plurilinguisme auquel ils seront confrontés après l’adhésion ? Et que les media prennent au sérieux leur rôle dans les débats sur le plurilinguisme européen ?

R. : Il me semble que les média dans chaque pays ont une certaine tendance à se lire réciproquement, et à suivre des modes. L’Europe se trouve actuellement en période d’intense réflexion sur son avenir. Je suis de nature optimiste, et je suis confiant que, tôt ou tard, les médias vont comprendre l’importance du plurilinguisme. Peut-être que, lorsqu’on écrira l’histoire de notre période, la désignation de M. Orban comme commissaire avec pour unique responsabilité celle du plurilinguisme, sera vue comme le moment où tout s’est mis à changer pour le mieux en Europe.

(entretien réalisé par Dana-Marina Dumitriu, secrétaire générale de l’OEP)