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Comment dites-vous ? Multilinguisme ou plurilinguisme?

Pour un individu, être plurilingue ou multilingue revient au même. Par contre pour une société, la question se pose de savoir si l'on a affaire à de parfaits synonymes, ou si plurilinguisme et multilinguisme ne recouvrent pas des réalités toutes différentes.

En effet, pour une collectivité, la coexistence de plusieurs populations monolingues mais de langues différentes n'a qu'un lointain rapport avec la situation d'une population d'individus parlant majoritairement plusieurs langues. Bien sûr entre ces deux situations bien différenciées peut se trouver toute une gradation de configurations intermédiaires. Néanmoins, il est regrettable d'imaginer qu'un même terme ou que deux termes désignent indifféremment des réalités qui en définitive ont assez peu de choses en commun.

La question se pose de savoir si les termes « multilinguisme » et « plurilinguisme » ne permettent pas de traduire cette différence de sens. « Multilinguisme » ne devrait-il pas voir son sens restreint à la désignation de collectivités à plusieurs populations unilingues tandis que « plurilinguisme » pourrait être le terme candidat pour des populations composées d'individus plurilingues ou multilingues.

Nous n'avons pas ici la prétention de répondre à la question mais plutôt de la poser, tant l'usage semble assez fluctuant, même si se dégage un tendance à opérer la distinction.
Nous sommes porté à penser que la distinction n'est pas dépourvue de légitimité.

Quelques remarques pour étayer ce point de vue.

Chaque fois qu'on applique l'adjectif à une entité précise, la synonymie joue à plein: ex. : personne multilingue ou plurilingue, texte multilingue ou plurilingue, organisme multicellulaire ou pluricellulaire.

Par contre, quand on a affaire à un ensemble plus complexe, la pratique est plus floue. Multipartisme et pluripartisme sont indifférents en droit constitutionnel. Par contre, pluralité n'est pas multiplicité.

On dira plus difficilement « gauche multiple » que « gauche plurielle », sans doute parce que le mot « pluriel » comporte un sème d'unité qui est inexistant dans « multiple ». C'est sans doute pour cette raison que « pluriel » admet deux contraires dans « unique » et « singulier », alors que « singulier » n'est pas le contraire de « multiple ».

La « singularité » n'est pas l' « unicité ». Il y a dans la « singularité » une idée d'identité irréductible qui est incompatible avec l'idée même de multiplication par suite d'une sorte d'inaptitude à la reproduction du même. Quelqu'un de singulier a, du fait de sa singularité, quelque chose à voir avec bizarrerie, étrangeté, excentricité, extraordinaire, extravagance, originalité, non sans dans certains contextes une connotation péjorative. Se singulariser est parfois mal vu. Pour cette même raison, le pluriel maintient l'unité, la cohésion, alors que le multiple reste neutre de ce point de vue.

Pluriel vient de « plus », c'est plus que un, mais ce n'est pas forcément un multiple. C'est ainsi qu'une personne plurilingue vaut plus qu'une personne unilingue (l'empereur Charles Quint exprima cette idée en disant qu'une homme qui parle quatre langues vaut quatre hommes), de même, un pays plurilingue a manifestement une supériorité par rapport à un pays monolingue. Par contre, l'unité et la cohésion d'un Etat multilingue est plus problématique.  L'Europe est sans nul doute multilingue, mais elle ne sera vraiment l'Europe que lorsqu'elle sera plurilingue.

Christian Tremblay