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Sur la traduction automatique (courrier des lecteurs) - Dossier Le Monde – Sciences & médecine 29 novembre 2017

« La traduction dopée par l’intelligence artificielle », et encore : « Les algorithmes vont-ils supplanter les traducteurs humains ? », voilà qui interpelle, comme on dit, le lecteur qui est également traducteur (littéraire il est vrai) à ses heures... Curiosité, et quelques frissons à fleur de peau en voyant un titre intérieur : « Les traducteurs humains sur la sellette »... Pourtant, il faut avouer que, pour des langues mal connues, les quelques programmes accessibles sur le Net nous rendent plutôt service, à condition de se contenter du minimum, qui est mieux que rien. Nous avons plutôt l’impression d’un degré zéro de la complexité traductive, mais enfin les très courants Google, Systran ou Reverso rendent quelque service. Certes, il y reste des failles, en particulier (tout comme chez les humains débutants) pour ce qui est des idiomatismes, qui ne sont jamais que des idiotismes. Mais – grâce entre autres au « plongement lexical » (qui n’est pas expliqué) – force est de constater que ça fonctionne, en particulier semble-t-il chez Systran, puisque ce système est testé depuis plus longtemps et a droit ici à un article spécial qui le valorise : « C’est fascinant de voir que cette technique, qui reste encore opaque et mal comprise, fonctionne aussi bien » reconnaît François Yvon, du CNRS. Y aurait-il, caché parmi les réseaux de neurones, un Deus ex machina ? À notre niveau, encore une fois amateurial, essayons de tester ces programmes courants, par exemple sur 2 vers d’un auteur italien aussi important que méconnu, Giovanni Pascoli. Il s’agit bien entendu d’un jeu humoristique, les programmes de traduction automatique n’étant pas conçus pour la poésie – heureusement sans doute !

Ces deux vers, terminant un chant de son Ultimo viaggio (Le dernier voyage d’Ulysse), ne sont pas simples il est vrai : c’est la nymphe de la mer Calypso qui parle, ou plus exactement hurle, et elle est désespérée par la mort d’Ulysse :

– Non esser mai! Non esser mai! Più nulla,
ma meno morte, che non esser più! –

Il se trouve que nous possédons deux belles traductions de ce passage, l’une en allemand (par Willi Hirdt, 1989), l’autre en français due à Evanghelia Stead (2009). Les voici :

“– Niemals sein! niemals sein! eher denn gar nichts,
aber ohne den Tod, als nicht mehr sein! –”
“– Ne jamais être ! ne jamais être ! plus
rien, mais moins de mort, que de ne plus être ! –”

Et, sans commentaires, voici les résultats des traductions automatiques obtenues, d’abord à partir de l’allemand (traduction-retour d’une langue de destination), puis en repartant de l’original italien :

1. N’être jamais ! N’être jamais ! N’être plus plus donc rien du tout, mais sans mort que pas ! (Reverso) ;
Ne jamais être ! ne jamais être ! plutôt que rien, mais sans la mort, ne plus être ! (Google) ;
Jamais son ! jamais son ! plutôt donc rien, toutefois sans le décès que plus son ! (Systran).
2. Ne sois jamais! ne sois jamais! plus nulle, mais moins mortes, que ne pas être plus! (Reverso) ;
Ne jamais être! ne jamais être! rien de plus, mais moins de mort, que plus maintenant! (Google) ;
Ne pas être jamais ! ne pas être jamais ! plus de rien, mais moins mortes, que ne pas être plus ! (Systran).

S’il fallait une seule rapide appréciation, il me semble que Google (qui apparemment passe souvent par une première « translation » en anglo-américain : c’est particulièrement visible avec des langues telles que l’arabe), quoique moins expérimenté, s’en tire plutôt mieux que ses concurrents. Quant à Systran, les résultats obtenus sont pour le moins surprenants. Mais, de façon très générale, nous dirons : oui, mais encore un effort !
J’ai demandé enfin à deux amateurs connaissant d’assez loin, l’un l’allemand, l’autre l’italien, de se livrer au même exercice. Voici, respectivement, leurs deux résultats :

1. Ne jamais être ! ne jamais être ! Plutôt donc rien, mais sans Mort, que n’être plus !
2. Ne jamais être ! jamais être ! rien, mais moins de mort, que de ne plus être du tout !

Comme quoi, peut-être vaut-il mieux avoir une connaissance même superficielle des langues étrangères, chaque fois que cela reste possible, que de se fier – sauf bien sûr pour des langues éloignées totalement inconnues – à ces nouveaux systèmes du Deus ex machina. D’où enfin ma propre version (en vers, de 11 positions) pour ces mêmes 2 petits vers :

– N’être jamais ! n’être jamais ! rien plutôt,
mais moins de mort, plutôt que de ne plus être ! –

Et (si c’est possible) que la grande ombre de Pascoli me pardonne ! il est vrai que sa poésie n’est pas des plus faciles.

Jean-Charles Vegliante
Paris

Note : Voir l’article du ‘Monde’ dans la Lettre de l’OEP n° 72 (déc. 2017) ; un large choix des poèmes de G. Pascoli en traduction française est sous presse chez Mimésis-France.