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L'après Brexit linguistique : une discussion toujours ouverte !

Trois articles importants et une analyse de l'OEP

I -  « Après le Brexit, la primauté de l’anglais peut-elle perdurer alors qu’il ne figure plus parmi les langues officielles de l’Union ? »

Louise Mushikiwabo, secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie, estime, dans une tribune au « Monde », que le divorce entre le Royaume-Uni et l’Union européenne doit aboutir à un rééquilibrage entre les langues en faveur du français dans les instances communautaires.

Publié le 06 février 2020 à 05h00

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/02/06/apres-le-brexit-la-primaute-de-l-anglais-peut-elle-perdurer-alors-qu-il-ne-figure-plus-parmi-les-langues-officielles-de-l-union_6028573_3232.html

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II - Brexit : l'anglais est-il encore une langue officielle de l'UE ?

Par Pauline Moullot 4 février 2020 à 16:27 - Photo : En cours d'anglais à Hérouville-Saint Clair (Calvados), en 2005, Mychele Daniau. AFP

https://www.liberation.fr/checknews/2020/02/04/brexit-l-anglais-est-il-encore-une-langue-officielle-de-l-ue_1777106

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III - Et l'"english" des eurocrates, c'est pour bientôt la sortie?

par

https://www.lecho.be/dossier/brexit/et-l-english-des-eurocrates-c-est-pour-bientot-la-sortie/10204768.html

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IV - Analyse de l'OEP

En revanche, nous avons quelques regrets concernant l'article de Jean Quatremer qui nous avait habitué à plus de rigueur dans ses argumentations.

D'abord, la petite sortie germanophobe de Jean Quatremer est à la fois malvenue et contre productive.

Mais la critique porte plus profondément sur ce passage :

"Le problème est qu’aucun des 27 États membres n’a notifié l’anglais comme langue officielle: pour l’Irlande, c’est le gaélique, pour Malte, le maltais, pour Chypre, le grec... Certes, ces pays pourraient notifier l’anglais comme seconde langue, mais cela risque d’ouvrir des revendications régionales difficilement maîtrisables (catalan, basque, corse, breton, etc.). Ce n’est pas un hasard si aucun pays n’a manifesté son intention de le faire.

Dès lors, continuer à utiliser l’anglais qui n’est la langue maternelle que de 7 millions de personnes sur un ensemble de 450 millions d’habitants n’a strictement plus aucun sens."

Le premier paragraphe paraît juridiquement incorrect en ce qui concerne la notion de langue officielle et du fait de l'apparition d'un objet juridiquement non identifié qui serait celle de "notification". On aura peine à trouver dans les traités une règle qui ferait d'une langue officielle le produit d'une "notification" effectuée par un état membre. Bien sûr quand un nouvel État adhère à l'Union européenne, il faut qu'au moins une langue de cet État figure dans les langues officielles de l'Union européenne et soit donc reconnues dans les langues des traités. C'est ainsi que l'Irlande, lors de son adhésion en même temps que le Royaume Uni et le Danemark en 1972, a fait ajouter l'irlandais, qui est la première langue officielle de la République d'Irlande avant l'anglais. Et elle n'avait aucun motif de demander l'anglais puisque celui-ci l'était déjà par le Royaume Uni. Mais il faut considérer que l'inscription d'une nouvelle langue parmi les langues des traités, ce qui lui donne vocation à devenir "langue officielle et de travail" en vertu de l'article 1 du règlement 1/1958 du Conseil définissant le régime linguistique des institutions européennes, résulte d'une décision prise à l'unanimité des États membres et que toutes les versions linguistiques des traités sont censées être signées par la totalité des États membres. Pour les États qui ont plusieurs langues officielles, il leur appartiendra d'indiquer la langue qu'ils retiennent pour leurs relations avec les institutions, mais cette disposition (art. 8 du réglement 1/1958 sur le régime linguistique de l'UE) est sans effet sur les langues officielles.

Au final, parmi la liste des langues officielles et de travail, donnée par l'article 1 du règlement 1/1958, on va trouver des langues qui ne sont officielles au niveau national que dans un seul État membre (ex. : le maltais, l'irlandais, le letton, le lituanien, le roumain, le hongrois, etc.), mais aussi des langues officielles dans deux ou plusieurs États membres (l'anglais officiel au Royaume Uni, en Irlande et à Malte, l'allemand officiel en Allemagne, en Autriche et au Luxembourg, le français officiel en France, en Belgique et au Luxembourg, le suédois officiel en Suède et en Finlande, et c'est à peu près tout. Inversement, on va avoir des États membres qui, parce qu'ils ont au niveau national plusieurs langues officielles et qu'ils partagent une ou plusieurs d'entre elles avec d'autres États membres, vont au niveau européen se retrouver avec plusieurs langues officielles. C'est le cas de la Belgique qui partage ses trois langues officielles, du Luxembourg qui partage deux de ses trois langues officielles (le luxembourgeois n'ayant pas été langue des traités), l'Irlande et Malte qui partagent l'anglais (mais pas l'irlandais ni le maltais), de la Finlande qui partage le suédois, et c'est à peu près tout.

Donc l'idée que le Brexit devrait entraîner de manière quasi mécanique, le retrait de l'anglais comme langue des traités et comme langue officielle, est très probablement une idée érronnée. L'Irlande revendique non seulement l'irlandais, mais aussi l'anglais pour la bonne et simple raison que l'irlandais, bien que première langue officielle de l'Irlande, pour des raisons historiques et politiques que nous n'avons pas à discuter, n'est en réalité connue que par une minorité de la population irlandaise. De ce point de vue, la situation de Malte est différente, car tous les Maltais connaissent le maltais. Donc, si l'anglais demeure après le Brexit langue officielle parmi les autres langues officielles de l'Union européenne, ce n'est pas parce que l'anglais bénéficie d'un statut spécial, mais en raison de l'Irlande et de principes défendus farouchement par l'OEP qui sont le principe du plurilinguisme et le principe d'égalité entre les langues officielles au niveau européen. La raison d'être d'une langue officielle, c'est qu'elle est destinée à la communication des autorités politiques et administratives du pays avec les citoyens.

Nous regrettons de dire que Jean Quatremer se trompe sur deux points importants :

- en ce qui concerne la détermination des langues officielles.

- en considérant que continuer à utiliser l’anglais, qui n'est plus la langue maternelle que de 7 millions de personnes sur un ensemble de 450 millions d’habitants, n'a pas de sens.

Ce qui n'a pas de sens, c'est que l'anglais soit utilisé de manière aussi massive qu'actuellement dans le fonctionnement des institutions et dans leur communication avec les citoyens, alors que cette langue n'est connue, à un niveau de maîtrise acceptable, que par une petite minorité des citoyens européens (pas plus de 7-8 %, et non 32% comme on l'écrit souvent).

On ne peut donc qu'être d'accord avec Jean Quatremer quand il écrit :

"En quelques années, l’Union a basculé vers une hégémonie anglophone, sans qu’à aucun moment il n’y ait eu le moindre débat démocratique sur cette question pourtant centrale qui touche à l’identité des peuples. Le départ du Royaume-Uni peut-il changer la donne?"

Dommage !