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Avec Lydie Salvayre (Goncourt 2014) rencontre avec l'univers du langage et un mythe de la civilisation européenne, Reviens, Don Quichotte !

La Grande librairie 8 septembre 2021

Lydie Salvayre, détentrice du prix Goncourt 2014 revient avec un roman  exceptionnel. Rêver debout, au Seuil, est une véritable ode au Don Quichotte de Cervantes. De son temps, ce dernier passait pour un fou car il croyait au pouvoir de la fiction et de la littérature.

Pour ceux qui n'ont pas le temps d'écouter et de voir cet extrait de 4:47, voici la transcription :

François Busnel : Je rappelle Lydie Salvayre que vous êtes fille de réfugiés espagnols, que vous avez raconté l'histoire de votre mère dans pas pleurer prix Goncourt en 2014, sa longue fuite d'Espagne vers la France à l'âge de 17 ans pour échapper au fascisme de franco puis les camps de concentration français, Argelès notamment, le français n'est pas votre langue maternelle, vous l'avez appris à l'école primaire et avant d'écrire, vous avez découvert la psychanalyse et exercé comme psychiâtre, métier que vous connaissez donc suffisamment bien pour le critiquer parfois dans vos livres. Rêver debout, disais-je, votre nouveau livre m'a enchanté, vous allez voir, ça ne donne qu'une seule envie, poser des questions, beaucoup, et relire, relire, c’est aux éditions du seuil, ode à don Quichotte, c'est un roman réalité sous forme de lettre adressée aujourd'hui par une lectrice souvent agacé, à l'auteur du Quichotte Miguel de Cervantes, en revenant sur la réalité, donc sur la folie, donc sur l'amour de la justice, donc sur la révolte, peut-être aussi roman pour une littérature engagée, on en parlera, pour quelles raisons Lydie Salvayre aujourd'hui au 21ème siècle exhumer, allez, je vais être provocateur, ce vieux texte, cette vieillerie de 1604, XVIIe siècle, ce Quichotte, pourquoi vous semble-t-il si nécessaire en 2021 ?

Lydie Salvaire : alors, parce que j'étais en plein confinement comme tout le monde, j'ai pensé qu'il y avait un personnage dans la littérature qui rompait avec panache avec son confinement mentale, puisque don Quichotte passe ses journées confiné dans sa bibliothèque à lire des romans de chevalerie, et rompt ce confinement pour aller habiter le monde et découvrir les autres qu'ils ne connaissaient pas,

FB : et pourtant Cervantes nous présente Quichotte comme étant aujourd'hui, on dirait, le héros dont on n'a pas envie. On va pas faire un blockbuster américain avec don Quichotte, il est tout maigre, il est tout sec, il a le teint jaune, un plat de barbier en guise de home, une lance totalement rouillée, il confond les moulins avec des chevaliers, bref il est à côté de la plaque.

LS : comment dire, j'ai l'impression que pour Cervantès c’est une façon justement de contourner la censure, de faire faire à cet hidalgo des choses impensables à l'époque comme défendre les pauvres contre les puissants, défendre les femmes qui s'émancipent, attaquer les ecclésiastiques, et donc il faut qu'il le paie un peu dans le livre, donc on le maltraite, on le fringue mal, il échoue une fois sur deux, et ses drames et je pense que c'est une ruse de Cervantès, c'est une ruse,

FB : c'est précisément ça qui est je trouve le sel de votre livre, c'est que ça commence comme une mauvaise lecture, ça nous arrive à tous de prendre les choses au pied de la lettre, de dire « non mais c'est pas possible, vous vous fichez de ce pauvre type, mais qui est en réalité merveilleux, vous l’engueulez copieusement, Cervantes.

LS : mais je feins, c’est par jeu, c’est par jeu, c’est pourrir comme disent les enfants, et puis pour prendre un peu le lecteur à revers qui croit que je vais être béate d'admiration devant cet immense écrivain, donc c'est une façon un peu de le déranger, c'est pour ça que je l’engueule,

FB : mais quand même un point qui est très étonnant et puis qui est déroutant, c'est que don Quichotte est un noble qui à un moment se lance sur les routes parce qu'il a lu trop de romans de chevalerie, parce qu'il a eu l'esprit dérangé par ses idéaux d'amour pur, de justice, de révolte contre les injustices,

LS : et il va continuer à défendre ce rêve mais un essayant de le rendre concret, c'est ça qui est beau dans ce livre évidemment,

FB : est-ce qu'il est fou ?

LS : c'est bien la question qui traverse tout le livre, est-ce qu’il est fou, est il plus fou que les inquisiteurs qui brûlent les hérétiques, est il plus fou que que la sainte Ermanda qui traitent ses galériens comme des bêtes qu'il libère, qui est le plus fou et pourquoi le désigne-t-on comme fou parce qu'il est trop singulier, parce qu'il est trop révolté, parce qu'il ne se plie pas à la norme, ce sont des questions vieille comme le monde mais en tout cas tout le livre est traversée par cette question sur la folie me semble-t-il.

(ré)écouter ou (re)voir l'extrait

https://www.youtube.com/watch?v=kBY_h-DWkAI&list=PLmN0_lzOfsIijPzrrYOJRa_ZM1ttPJ_tm&index=3

Ecouter aussi l'émission Boomrang du 13 septembre 2021 - De sa plume cinglante aux accents lyriques, elle célèbre la langue, l’imaginaire et la différence. Lydie Salvayre était l'invitée d'Augustin Trapenard.

https://www.franceinter.fr/emissions/boomerang/boomerang-du-lundi-13-septembre-2021