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Le communiqué d'Eurostat sur les langues : des statistiques pour embellir ?

Voici un extrait du communiqué de la Commission européenne du 23 février 2017. Parfait exemple de langue de bois, nous commentons ce texte plus loin.

"60% des élèves du premier cycle du secondaire apprenaient plus d'une langue étrangère en 2015
Le français, deuxième derrière l'anglais.

L'apprentissage d'une langue étrangère à l'école est très répandu dans l'Union européenne (UE), puisque plus de 17 millions d'élèves du premier cycle de l’enseignement secondaire (soit 98,6 % de tous les élèves à ce niveau d'enseignement) étudiaient au moins une langue étrangère en 2015. Parmi eux, plus de 10 millions (58,8 %) apprenaient deux langues étrangères ou plus.
Étudié par environ 17 millions d’élèves (97,3 %), l'anglais était de loin la langue étrangère la plus populaire au cours du premier cycle de l’enseignement secondaire. Le français (5 millions d'élèves, soit 33,8 %) arrivait en deuxième position, suivi de l'allemand (3 millions, soit 23,1 %) et de l'espagnol (2 millions, soit 13,6 %).
Ces données sont publiées par Eurostat, l’office statistique de l’Union européenne. Actuellement, 24 langues officielles sont reconnues au sein de l’UE. En parallèle existent des langues régionales, des langues minoritaires et des langues parlées par les populations migrantes. Il convient également de noter que plusieurs États membres de l’UE comptent plus d’une langue officielle.

Eurostat2017w

Luxembourg, Finlande et Italie en tête pour l'apprentissage de plusieurs langues étrangères
En 2015, tous ou la quasi-totalité des élèves du premier cycle du secondaire apprenaient au moins deux langues étrangères au Luxembourg (100 %) [OEP : normal pour un pays trilingue], en Finlande (98,4 %) [OEP: normal pour un pays bilingue], en Italie (95,8 %), en Estonie (95,4 %) et en Roumanie (95,2 %). Par contre, moins de 10% des élèves à ce niveau d'enseignement étudiaient deux langues étrangères ou plus en Hongrie (6,0 %) ainsi qu'en Autriche (8,8 %)."

Lire le communiqué

En fait, si l'on compare les données sur les dix dernières années (2005-2015), on peut donner une analyse très différente de la réalité.

En ce qui concerne la proportion d'élèves qui apprennent deux langues ou plus dans le premier cycle du second degré (CITE 2, niveau collège), partant de 46,7 % en 2005, on passe par un maximum en 2010 avec 60,7 %, pour revenir aujourd'hui au niveau de 2009. Le commentaire devrait être : l'Europe piétine.

Le communiqué ne parle pas du second cycle du second degré (CITE 3), qui est pourtant important au regard de la suite de l'enseignement des langues dans l'enseignement supérieur. Or, qu'apprend-on, si l'on prend la peine de fouiller dans le détail des statistiques : que la proportion d'élèves qui n'apprennent qu'une langue est passée de 36,3 % en 2005 à 39,6 % en 2014, donc une progression de 3,3 points. Inversement, la proportion d'élèves apprenant au moins deux langues régresse de 54% à 51,2, soit une perte de 2,8 points, après être passée par un maximum en 2007. Donc, là, le commentaire devrait être : l'Europe régresse !

Il est intéressant de constater que dans le même temps où l'on a désarmé le second cycle du second degré, on a développé le premier degré, c'est-à-dire l'apprentissage semi-précoce des langues à l'école.

Donc l'enseignement d'au moins une langue étrangère à l'école primaire est passé de 66 % à 79,2 % de 2005 à 2014 et la progression a été continue sur toute la période. Ceci frise l'incohérence, attendu que le but des conclusions de Barcelone était de faire en sorte que tous les européens maîtrisent au moins deux langues étrangères. Or, en privilégiant l'enseignement semi-précoce et en désarmant l'enseignement des langues au lycée, le seul résultat obtenu est la focalisation exclusive sur l'anglais, l'anglais étant le seul bénéficiaire de l'enseignement semi-précoce, et l'exclusion de la seconde langue, c'est-à-dire des autres langues européennes, qui au final n'est apprise qu'au collège, sans continuité avec l'enseignement supérieur, et sera donc vite oubliée. Gaspillage phénoménal donc de l'argent public et détournement des objectifs annoncés par l'Union européenne.

Cela évidemment, le communiqué ne le dit pas, mais celui qui va chercher l'information le découvre très vite.

Bien entendu, ce ne sont que des moyennes, et cette situation moyenne recouvre des bons et des mauvais élèves. Mais mieux vaut pour la Commission signaler les bons élèves factices, comme le Luxembourg, naturellement trilingue (français, allemand et luxembourgeois) ou la Finlande, naturellement, constitutionnellement et historiquement bilingue (finnois et suédois).

Commençons par les mauvais élèves :

Le Danemark : -21,3 sur au niveau CITE 3 général (Lycée) (67,3 en 2005, 46 en 2014)

L'Irlande : niveau de départ très bas (8,9 en 2005, puis 6,5 en 2014, avec redressement à signaler en 2015 (13,8), que faut-il en penser ? Effet du Brexit et crainte de l'isolement ?)

La Grèce, avec tendance vers 0 pour le niveau CITE 3 (Lycée), manifestement visible de la crise grecque

Chypre : -21 (100 en 2008, 79 en 2015)

La Lituanie : -15 (55 en 2005, 40,7 en 2015)

Malte : -18 (81,2 en 2010, 63,2 en 2015)

Pays-Bas : -30,9 (100 en 2005, 69,1 en 2015)

L'Autriche : -5 en 5 ans (74,2 en 2012, 69,2 en 2015)

La Pologne : -8,6 (79,3 en 2007, 70,7 e, 2015)

La Suède : -13,7 (92,6 en 2005, 78,9 en 2015)

 Maintenant, les bons élèves, la liste est beaucoup plus courte :

L'Estonie : +6,2 (80,9 en 2015, 91,1 en 2015)

La France depuis qu'elle a rendu le seconde langue obligatoire au baccalauréat, d'où : +9,4 (89,6 en 2055, 99 en 2015)

La Lettonie : +7,4 (74,1 en 2005, 81,5 en 2015)

La Roumanie : +8,1 (91,8 en 2005, 98,9 en 2015)

Pour les pays non cités, il n'y a pas sur la période d'évolution significative. Mentionnons quand même quatre pays dont les scores sont supérieurs à 90 % au niveau CITE 3 et avoisinent même les 100 % : Croatie (93,9), Slovénie (96,2), Slovaquie (98,5), République Tchèque (98,1).

Les limites de l'exercice est que nous sommes dans des données exclusivement quantitatives, mais néanmoins la tendance est claire et la conclusion s'impose : la polarisation sur l'anglais, seul bénéficiaire de l'abaissement des enseignements au niveau du premier degré (CT1) est défavorable pour toutes les langues, y compris pour l'anglais, dont nous savons par ailleurs que le niveau acquis dans le cadre scolaire n'a pas progressé depuis dix ans.

L'OEP